Bauer District, Saint-Ouen, 2019.

 

Bauer District, notre projet de transformation du stade Bauer à Saint Ouen, a été remporté avec Clément Blanchet Architecture et le groupe Réalités en juin 2019 dans le cadre de la compétition « Inventons la Métropole du Grand Paris 2 ». Ce projet s’inscrit dans la continuité d’une recherche engagée depuis de longues années sur ce site, et plus généralement sur le rôle du jeu dans la cité et sur l’évolution du stade comme objet urbain. Retour sur quelques grandes étapes de cette recherche en cours.

 

Bauer District est le résultat d’un travail complexe, délicat, conscient du contexte : car le stade Bauer est un stade particulier ; un lieu populaire, qui doit le rester. La position du stade dans la ville est l’une des raisons de cette popularité : la configuration du quartier est le résultat d’un collage serré, un peu chaotique, et producteur de proximités inhabituelles ; ainsi de nombreux logements ont des vues directes sur le jeu.

 

Le stade Bauer, « anomalie » urbaine productrice de situations inhabituelles : les habitants du quartier ont des vues directes sur le jeu.


C’est un lieu mythique, aussi, voire sacré, dont l’histoire est façonnée par un club tout aussi mythique, le Red Star FC. Un club qui cultive depuis des décennies une place atypique dans le paysage du foot français grâce aux valeurs qu’il porte : authenticité, partage, transmission - romantisme, même. Ce sont des valeurs que le futur stade doit prendre soin de conserver, d’amplifier.
En démarrant par un choix décisif, évident : nous construisons d’abord un stade, qui s’adresse à une équipe de foot et à des supporters. C’est donc tout naturellement que la pièce centrale du Bauer District est le « Bauer Stadium », le stade lui-même : un stade pour tous, la maison d’un club résident qui devra s’y sentir chez lui et porter haut les couleurs du Red Star. Un stade à l’anglaise, en pleine terre, qui verra sa capacité augmentée à 11000 places, et sera homologué Ligue 1 et Ligue 2. Mais aussi, surtout, un stade qui renforcera encore la proximité des spectateurs.

 

 

Un stade à l’anglaise à Saint Ouen (Bauer District, 2019).


Cette proximité, à contre-courant d’une distance croissante entre joueurs et public, renvoie à une conception populaire et démocratique du sport que Bauer et le Red Star défendent sans relâche depuis des décennies. Cette conception trouve par ailleurs des échos frappants avec une certaine vision du jeu proposée, ces dernières semaines, par la coupe du monde féminine ; un événement au succès immense, un succès qui doit beaucoup à cette impression que la compétition redevient ici accessible, qu’elle redevient un jeu qui parle à tous. Et l’agence SCAU est particulièrement heureuse de voir que les stades du Havre et de Valenciennes (que nous avons construits respectivement en 2012 et 2011) accueillent ces moments.

 

Les stades du Havre et de Valenciennes, réalisés par SCAU, accueillent la coupe du monde en 2019.


Retour à Saint-Ouen : la proximité du jeu, dans le projet Bauer District, est rendue particulièrement effective sur la rue du Docteur Bauer : notre proposition inclut ainsi une grande faille qui traverse le bâtiment et fabrique des vues sur le stade. Le jeu est visible par tous, depuis l’espace public, car il est un dispositif essentiel de solidarité qui dépasse les logiques foncières : c’est un impératif qui fait et fera l’exemplarité de Bauer.

 

Au-delà du traitement particulier retenu sur la rue du Docteur Bauer, Bauer District assume plus généralement un rôle à l’échelle du quartier. En étant reconnecté à son environnement, il deviendra le point central d’un travail de couture urbaine, dans des objectifs de perméabilité des espaces et de brassage des populations. En particulier, des nouvelles voies publiques sont créées à l’est et à l’ouest pour renforcer les mobilités piétonnes et les connexions urbaines (avec les Puces, Lumières Pleyel, les Docks, etc.).

 

 

Déverrouiller le stade, d’un objet clos vers une pièce urbaine (Bauer District, 2019).

 

Cette démarche d’ancrage dans un territoire et dans son fonctionnement passe aussi par des questionnements quant à l’image à donner au projet. Pour faire correctement ce travail, il faut connaitre le contexte, la vie, l’histoire du site. Car par-delà son club, le stade Bauer est un lieu emblématique de la ville, et de la Seine- Saint-Denis. Un lieu marqué par une identité forte, une mémoire tangible, vivante : une identité brute, industrielle, populaire. Les Puces, situées à quelques centaines de mètres du stade, en sont l’incarnation la plus évidente. Le nouveau projet doit s’inscrire dans ce contexte et cela constitue un défi toujours difficile, qu’il faut aborder sans a priori, en comprenant les singularités du territoire. Se fondre dans la masse, jouer la discrétion ? Revendiquer au contraire la dissonance esthéthique ou formelle - une démarche après tout légitime dans un site qui s’est construit à force d’assemblages hétéroclites et plus ou moins planifiés ? La stratégie finalement retenue a été la suivante : une image qui veut rendre hommage à ce que nous percevons de la complexité audonienne, entre héritage et modernité, entre mémoire et réinvention.

 

Ce travail de redéfinition du stade comme générateur urbain, s’il a trouvé une application particulièrement pertinente dans le territoire de Saint Ouen, se situe par ailleurs dans la continuité d’une recherche plus large menée depuis de longues années. En effet, l’agence SCAU a conçu et construit un nombre important de stades, en refusant systématiquement la répétition formelle pour chercher, au contraire, à réinventer toujours le visage à donner à ces équipements.

 

 

Des stades conçus (construits ou non) par l'agence SCAU.


Cette multiplicité des enveloppes possibles montre en fait l’importance d’un seul et unique élément, un intangible qui traverse toutes ces propositions et qui est particulièrement fondamental à Bauer : l’aire de jeu. Quelques lignes tracées au sol, reconnaissables dans le monde entier, des lignes entre lesquelles des règles particulières s’appliquent, le temps d’un jeu. Dans cet espace, aux limites parfaitement claires malgré leur matérialisation par un simple marquage au sol plutôt que par quatre murs, beaucoup de choses se jouent, se négocient, se décident ; des affaires de la cité sont traitées, des conflits sont réglés. Dans Homo Ludens, paru en 1938, Johan Huizinga raconte ainsi l'émergence commune du jeu et du droit, tous deux créateurs d'« ordre » dans la collectivité, et l'émergence commune de leurs espaces : le lieu du jeu est, comme celui du droit, « retranché du monde usuel, et délimité ». L'aire de jeu assure donc, depuis les premières cités, le rôle d'un espace public, d'un espace politique.

 

La bonne intuition de Yona Friedman, en 1964.


Cette convergence entre stade et espace public peut-elle être, concrètement cette fois, mise en oeuvre dans les métropoles contemporaines ? C'était l'objet du projet Stadium Square, proposition fictive imaginée par SCAU au Qatar en 2014, et qui partait d’un constat : la plupart des nouveaux stades construits aujourd’hui deviennent rapidement des « éléphants blancs », des équipements gigantesques et mono-fonctionnels qui sont des absurdités économiques et sociales, des obstacles au développement urbain. Ce modèle est incompatible avec les enjeux contemporains : les stades, s'ils doivent continuer à assumer une dimension iconique, extraordinaire, dans le paysage urbain, doivent être également des espaces de rassemblement largement ouverts sur la ville.

 

Stadium Square, SCAU, 2014.


Le projet Stadium Square part des dimensions réglementaires, non négociables, du terrain de football ; mais avant de devenir ce terrain, cette surface reste avant tout un grand vide, un espace public, autour duquel le reste s'organisera. Ce vide se voit ensuite cadré par des bâtiments aux fonctions diverses, et dont la seule fonction qui compte est la suivante : délimiter et qualifier un peu mieux l'espace central, et, surtout, devenir les supports solides sur lesquels viennent se déployer des gradins temporaires, les soirs de jeu ; l'espace public devient, pour quelques heures, un terrain de football.

 

 

Stadium Square, en fonctionnement courant : une place publique.

 

Stadium Square, soir de match : un terrain de football et des gradins.


Stadium Square mettait ainsi en oeuvre, en 2014, un glissement que nous réaliserons plusieurs années plus tard à Saint Ouen : le glissement de la traditionnelle tribune aux bâtiments-tribunes. Et c’était, dès 2016, de cette manière que nous avions déjà imaginé une première stratégie de métamorphose du stade Bauer : pousser plus loin encore la tradition des logements avec vue sur le jeu, en rajoutant des maisons sur le toit des tribunes.

 

Premières études sur la transformation du Stade Bauer, SCAU, 2016.


Ces premières intentions, encore intuitives, ont finalement trouvé une forme de concrétisation dans le projet Bauer District, en 2019. Plus généralement, le futur stade est ici résolument centré sur le spectateur et cherche à redéfinir sa place, son rôle dans le jeu, en proposant une diversité d’expériences qui sont autant de manières de vivre un match : depuis les tribunes et les loges, dans les virages en pesage pour une immersion complète dans le jeu, depuis le rooftop, depuis des espaces intérieurs avec vues sur le stade, etc. Bauer District brouille les limites entre acteur et spectateur, il devient un lieu d’innovation dédié à la « fan experience », tout en veillant à entretenir l’atmosphère populaire du stade.

 

Cette redéfinition des rôles de chacun sera renforcée encore par l’hybridation du stade avec d’autres espaces, d’autres usages, au service de l’ambition du lieu et de sa capacité à inventer (inventer des nouvelles formes d’urbanité, inventer des nouvelles relations au jeu, etc.). C’est l’objet de la « Bauer Box », deuxième pièce du projet Bauer District. Un lieu accessible 7 jours sur 7, ouvert sur l’espace public et accueillant un programme mixte et évolutif de sports, cultures et loisirs : autant d’usages augmentant les flux, les échanges, les connexions. Le projet propose par ailleurs, pour les associations locales, des vestiaires et des locaux partagés sous la tribune Est, face au stade d’entraînement qui est « sanctuarisé ».

 

Plan du rez-de-chaussée, et plan de niveau : entre la rue du Docteur Bauer et la pelouse, des espaces à occuper pour cultiver et décliner l’esprit Bauer.


Cultiver un ancrage local tout en devenant un lieu inventif, facteur d’attractivité : c’est tout l’enjeu du Bauer District. Car le lieu, s’il est la maison du Red Star, a pour perspective d’accueillir également des grands événements sportifs et culturels, de s’inscrire dans la dynamique des JO 2024, et de devenir une destination emblématique du Grand Paris. A la fois au service des Audoniens et grand ouvert sur le monde : ce sera une nouvelle démonstration de la générosité qui définit, depuis toujours, l’esprit Bauer.