SCAU

Concentration, dissipation

Flux et artefacts

 

L'ouvrage architectural commence "à l'échelle humaine" (Le Corbusier) ; à l'échelle de l'organisme humain, "à sa convenance, à ses aises, à sa mesure". L'architecture commence et "s'harmonise avec lui" ; avec lui, puis avec le groupe qu'il forme, lui et d'autres membres de son espèce. Les sociétés, assemblages et rassemblements d'individus, construisent une forme d'intelligence plus complexe, une capacité d'action et de résolution plus développée. Elles sont constituées des relations, des liens, des échanges d'informations, de biens, de la communication entre les hommes et les différentes institutions.

 

Ces flux et ces échanges forment la substance vitale de notre monde. Et cette circulation d'énergie ne dure que tant que le substrat de la société, les hommes et les institutions, sont traversés d'un flux d'origine extérieure. Le rayonnement solaire constitue cette source d'énergie primordiale, constante, qui irrigue la terre et tous les systèmes qui la composent. Si ce flux extérieur cesse, si cette source d'énergie se tarit, alors l'ensemble du système d'échanges se défait et devient peu à peu immobile.

Si ce flux perdure, en revanche, le système d'échanges s'organise, spontanément, il donne forme à des structures, des motifs. La matière tend à s'accumuler et s'organiser afin de soutenir le développement de ces structures. Parce le système tend à vouloir être traversé par toujours plus d'énergie, il s'organise pour une efficacité toujours plus grande, et suscite ainsi une demande d'artefacts concrets pour soutenir ces échanges, et permettre leur développement, leur renouvellement, leur perfectionnement.

Ces artefacts, ces organismes, sont des structures dissipatives d'énergie ; et plus elles sont complexes, plus leur taux de dissipation d'énergie est important. Au sommet de l'échelle de complexité, au bout de leur évolution, nos sociétés possèdent le taux de dissipation le plus élevé. Bien avant toute architecture, avant toute cité, les regroupements humains fonctionnent déjà ainsi, c’est ce que nous raconte par exemple l’observation des mouvements des foules qui, comme la plupart des ensembles de particules, ont une tendance remarquable à l'auto-organisation.

François Roddier, Thermodynamique de l’évolution ; modélisation de mouvements de foule, Frederik Depta ; et une foule d’oiseaux.

Energies intrinsèques (vide et plein)

 

Les infrastructures, les bâtiments, le modelage de nos paysages naturels et urbanisés sont la résultante nécessaire de l'existence de ces flux, ils sont ces artefacts concrets qui soutiennent ces échanges. Toute notre architecture, tout notre urbanisme, tous nos milieux habités ne sont que la trace des échanges énergétiques. Et si ces échanges cessent, nos constructions ne peuvent que s'éroder, se ruiner.

L'architecture est donc l’un des acteurs de la formation, de la cristallisation de ces traces. Il participe de ce processus, en étant à l'écoute de la demande qui est suscitée par les flux, en étant en permanence en recherche de la structure d'échanges sous-jacente à cette demande, puis en proposant l’artefact le plus à même de soutenir et de pérenniser la structure.

Projet de parking, Melnikov, 1925 ; un échangeur autoroutier chinois ; et une première vue du projet pour le stade de Pudong (SCAU).

Peut-être l'architecte ne fait-il en fait que rechercher, révéler, et accompagner un motif préexistant ? Et s'il réussit à permettre certains usages, ce n'est que parce que ces usages sont déjà en devenir, déjà en demande. Ainsi l'architecture, en tant que trace, serait avant tout révélatrice de l’intrinsèque. Pour y parvenir, alors, la compréhension de la dualité entre flux et structure est fondamentale ; car l'architecture est nourrie et formée par l'énergie – elle est donc essentiellement une recherche, une recherche de nécessité.

Entre flux et structure – autrement dit, entre mouvement et matière, ou mieux, entre vide et plein. Cette dualité est nécessairement au cœur d’une réflexion sur l'architecture comme trace de structures dissipatives d'énergie. Avec des questions passionnantes, difficiles, mystérieuses : est-ce la structure qui génère le flux, ou bien le flux qui génère la structure ? Est-ce la matière, ou plutôt son absence, qui structure l'espace ?

D’Arcy Wentworth Thompson, On Growth and Form ; leçons du langage pictural japonais, entre vide et plein.

Système échangeur

Plus que toute autre architecture, un stade est un lieu d'échange, un système de confrontation de flux : flux de personnes, de biens, de matières, de forces structurelles, d'énergies, de fluides et d'informations. Le stade comme un système d'échangeurs ?

Echanges entre les personnes d'une part, et les biens, la matière, les fluides d'autre part : les buvettes et autres lieux de restauration d'un côté, les toilettes de l'autre. Echanges d'information, le couple terrain / tribunes étant le premier de ces lieux d'échange, dont la nature visuelle dicte la géométrie ; la zone mixte, les salons d'interview, les studios TV, les salles de presse (un autre système d'échanges, ouvert vers un monde plus vaste)…

En haut, photographies du Stade du Havre (SCAU). Et un banc de poissons.

En 2016, nous avons cherché à pousser au plus loin cette réflexion sur le stade comme structure énergétique, à l’occasion de la conception du stade de Pudong à Shanghai. En partant de sa fonction première (un stade de 50 000 places), et en étendant le dispositif, en étirant les dalles vers l'extérieur, vers la ville ; à chaque niveau, entre intérieur et extérieur, des espaces sont créés, grands balcons sur la ville, supports d'activités qui vont au-delà du programme initial. 

Stade de Pudong : coupes.

Ces espaces ouverts s'entourent autour des tribunes comme le ferait une structure évolutive, en mouvement perpétuel, un souffle rayonnant sur le quartier et sur toute la ville de Shanghai. A l’image des organismes vivants et leur génie formel, le projet croît à la recherche de lumière naturelle et de l'eau de pluie ; un tracé végétal continu relie ainsi l'espace public jusqu'à la toiture, la terre jusqu’au ciel. Un parc plus qu’un stade, un artefact qui concentre et qui relâche, une production des énergies de la ville.

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