L’agence SCAU a attribué cinq bourses à des étudiants de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris, dans le cadre du partenariat PLACEBO consacré au soin et aux lieux de soin.

 

Découvrez ici deux projets, proposés par Florine Pendowski et Raphaël Lozano. Deux projets qui ont recours à la fiction comme stratégie d’invention, voire de résistance : « Je crois que toute fiction peut donner aux gens des perspectives alternatives sur l’histoire. Peu importe que ce ne soit pas réel. J’aime penser la fiction comme un parti d’opposition : elle n’est pas dominante aujourd’hui, mais elle peut prendre le pouvoir », Toshiki Okada. Des architectures narratives, au service d’une « médecine narrative » (Rita Charon) ?

 

 

Florine Pendowski a choisi la méthodologie du design-fiction (utopique, dystopique ? - au spectateur de s’en faire une idée) pour aborder la question du soin, des pratiques du soin, des lieux du soin. En posant d’emblée une problématique complexe : « comment penser la santé à l’heure des utopies transhumanistes ? ». Un questionnement effectivement essentiel, alors que l’histoire de la technique semble accompagner une étape inédite et encore mal connue du processus de « médicalisation de la société » que pressentait Ivan Illich il y a plusieurs décennies.

 

Quelques mots sur la fiction proposée ici : nous sommes en 2319, « la Terre agonise ». Des hommes se réfugient dans l’abbaye de Bohérie, à Vadencourt, et y réinventent des pratiques communautaires entre traditions spirituelles, nouveautés technologiques, et nouveau culte de la nature (mais quelle nature ?). Un contexte ambigü de réflexion et de projection, pour se poser quelques questions a priori pragmatiques : comment et où dort-on lorsque notre corps n’a besoin que de 3 heures de sommeil par jour ? Quel rapport social avons-nous au repas, lorsque celui-ci ne se compose que d’aliments de synthèse ? Comment entretient-on son corps ? Etc.

 

Les lieux de soin deviennent finalement, dans cette histoire, des lieux de survie. Poursuite logique et aboutissement d’une « médicalisation de l’architecture » qui organise les modalités spatiales de la médicalisation de la société, version cyborg. Cette vision, un cauchemar rendu étrangement attractif grâce à un jeu de représentations séductrices, nous rappelle à des impératifs immédiats et qui n’ont rien de fictifs : comment réagir face aux promesses techniques d’augmentation de vies humaines qui refusent, toujours plus, leur essentielle vulnérabilité - alors même qu’elles semblent avoir accepté, voire organisé et accéléré, la vulnérabilité de leur milieu de vie ?

 

 

Otarcia, Florine Pendowski, 2019 (Réalisé dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et SCAU – Réalisation à titre non commercial).

 

Raphaël Lozano, lui, fait des films d’animation. Autre forme, cinématographique, d’interrogation de nos pratiques de soin par la fiction, voire l’onirique. Cette fois, en s’ancrant dans un temps qui est le nôtre, et dans un espace qui nous est familier : celui d’une chambre d’hôpital. Mais les thématiques, elles, restent en fait les mêmes : quelle place accorder à la dimension relationnelle du soin, cette dimension a-t-elle été écartée et avons-nous à la revaloriser, et comment ? Et comment faire surgir, à nouveau, la notion de « nature » dans des espaces de soin formatés par des siècles de tradition hygiéniste, techniciste, fonctionnaliste ? Dans le film de Raphaël Lozano, la chambre d’hôpital se transforme en forêt (ou l’inverse), et le personnel soignant se transforme en animaux étranges : « médecine narrative » ?

 

 

 

Le champ discret des cardiogrammes, Raphaël Lozano, 2019 (Réalisé dans le cadre d’un partenariat entre l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et SCAU – Réalisation à titre non commercial).