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saint eustache

LE TEXTILE COMME NOUVEAU PARADIGME DE LA CONSTRUCTION

 

LA CROISEE DE CHEMINS SCAU ET L’ENSAD / UN WORKSHOP POUR UN NOUVEAU PARADIGME DE REAPPROPRIATION DES LIEUX A TRAVERS LE TEXTILE

 

 

Deux temporalités sont à l’oeuvre dans le construit : le temps long de la structure et de l’enveloppe de base et le temps court et éphémère des usages et des ambiances avec les aménagements intérieurs mobiles, changeants, innovants et expérimentaux.

 

Pour relever les défis que nous enjoint notre époque à l’heure de l’anthropocène, des flux migratoires et des évolutions culturelles et sociales dues aux nouvelles technologies, de nouvelles modalités de la résilience des lieux doivent être inventées. Notre conviction est qu’il faut changer de paradigme en contournant les freins habituels à l’innovation dans le monde de « l’immobilier » (pré pensé, normes, assurances…) en transférant une partie des objectifs de la maîtrise des ambiances à l’aménagement dit « mobilier » et être ainsi au plus près des variations des besoins liés aux usages et aux corps.

 

Le workshop partagé entre SCAU et l’Ecole des Arts Décoratifs autour de l’aménagement intérieur de l’Eglise St Eustache est l’occasion de réfléchir à l’opportunité des textiles et de leurs possibilités d’hybridations pour bousculer les codes du pré-pensé environnemental et être innovant pour une construction plus résiliente.

 

 

Au coeur de Paris, St Eustache, un lieu aux usages mouvants

 

Situées le plus souvent dans des lieux emblématiques de la ville, les églises portent des enjeux particulièrement intéressants. Le plus souvent lieu de culte, elles sont souvent amenées à accueillir des usages de plus en plus variés, concerts, installations artistiques, tourisme etc. L’église St Eustache au coeur du quartier des Halles est exemplaire de son ouverture aux mouvements de la ville depuis son origine.

 

Historiquement paroisse des Halles de Paris, elle garde aujourd’hui cette richesse et cette hybridation des usages et des pratiques. Mariage et rite funéraire côtoient dormeurs et touristes, les solitaires voisinent avec les groupes, concerts et célébrations cultuelles se succèdent, débats et soupes populaires se juxtaposent, activités artistiques et regroupements caritatifs se jouxtent…

 

Les nefs historiques en pierre parlent déjà de cette hybridation avec le plan gothique sur lequel les arches multidirectionnelles et les décors évoquent davantage la renaissance italienne, voire l’antiquité, en jouant de la lumière dans des diagonales visuelles qui suggèrent l’architecture des mosquées musulmanes, comme un clin d’oeil de tolérances entre différentes cultures et croyances !

 

Par contre les aménagements intérieurs (mobiliers, stockages, luminaires, affichages, signalétiques…) ne sont pas adaptés à cette flexibilité, à cette multiplicité d’ambiances (symboliques et physiques) appropriées à cette richesse d’usages.

 

 

Le textile comme vêtement de la construction : une approche renouvelée de la réhabilitation pour relever nos enjeux environnementaux, sociaux et poétique

 

A l’heure de l’anthropocène où l’empreinte de l’activité humaine a sur notre planète des effets considérables et parfois irréversibles, les secteurs de la construction et notamment celui de la réhabilitation des bâtiments existants portent des enjeux de taille et une responsabilité inédite vis-à-vis des générations futures.

La réutilisation des structures existantes, tel que St Eustache, pour des usages renouvelés et changeants est une piste incontournable pour espérer réduire notre empreinte notamment en émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).

 

Par contre on peut s’interroger sur la manière dont sont conduites actuellement les réhabilitations. Il suffit d’établir un bilan GES de ces opérations, qu’elles aient ou non des ambitions environnementales déclarées, pour s’apercevoir que l’objectif affiché de diminution des consommations énergétiques ne compense pas avant longtemps les dégâts occasionnés par l’opération de la fabrication des composants jusqu’ à la livraison du bâtiment, en passant par les norias de camions, sans parler des déchets ! La cible impérative de réduction d’émission de GES est immanquablement non atteinte. Demander à la structure construite de répondre à l’ensemble des objectifs et niveaux de confort de nos standards actuels est une des origines de cette impasse. Il est impératif de changer de paradigme !

 

Ne pourrait-on pas transférer aux aménagements intérieurs les objectifs de confort, de flexibilité, d’ambiance et de poétique de l’habité que nous demandons actuellement aux bâtiments ? Au bâtiment le rôle d’abri pérenne et à l’aménagement intérieur la flexibilité des usages changeants avec les ambiances traitées au plus proche des besoins et au-delà des besoins. Dans ce nouveau paradigme les temporalités à l’oeuvre dans l’habiter et le construire deviendraient plus cohérentes : au temps long « la pierre », aux temps court des usages, des saisons et de l’éphémère poétique « le vêtement ». Dans cette perspective les technologies à l’obsolescence rapide ne seraient plus de l’ordre du bâtiment mais plutôt des « vêtements » interchangeables.

 

Une matière, une technique, pour ce nouveau paradigme ? Le textile est un vecteur des possibles avec sa souplesse d’usage, sa capacité à s’hybrider avec de nouvelles technologies, son adaptabilité aux différentes temporalités, sa facilité de recyclage vertueux… Avec une attention au cycle vertueux de la matière textile, il y a tout à parier que le bilan écologique de cette approche sera incomparable avec l’approche classique de conception des aménagements intérieurs qui nécessitent le plus souvent des travaux lourds pour s’adapter aux nouveaux usages.

 

Les potentialités, la souplesse d’usage et la charge poétique offertes par les textiles qui s’hybrident sont un formidable terrain d’innovation pour les aménagements intérieurs. Bulles mobiles à ambiance maîtrisée, rideaux escamotables, acoustiques ajustables, écrans adaptables, toiles climatiques et lumineuses… une multitude de dispositifs qui permettent de s’isoler, de se regrouper, de s’approprier l’espace pour réinventer les pratiques, les échanges avec les autres, les modes de vie, l’art d’habiter.

 

 

Une conclusion sous forme d’appel

 

Anthropocène, crises migratoires, régressions sociales, réchauffement climatique, crises… la liste peut être allongée à volonté.

L’architecture et la construction au sens large sont par nature à la croisée de ces nombreuses questions, peurs, doutes ou défis suivant la manière dont on veut l’envisager.

En tant qu’architectes et designers, il est impératif de ne pas s’arrêter aux constats. Ne pas seulement accepter passivement le futur qu’on nous impose consciemment ou non en se contentant de réagir qu’au présent, à la situation présente. Sans anticipation, sans vision, l’action se contente de gérer l’urgence. Contrairement au sentiment d’impuissance par rapport au futur, très partagé par le plus grand nombre et alimenté pour leurs propres bénéfices par certains qui ont un intérêt à nous confisquer notre futur, il faut s’attaquer à une construction de l’avenir tel que nous le souhaitons. A tout le moins choisir le plus souhaitable dans ces futurs probables !

Architecte, je dénonce ces programmes construits juste en réaction à un état présent des choses, j’accuse ces normes à courtes vues, ces décisions liées aux temporalités électorales, ces labels qui nous leurrent en ne prenant pas en compte la réelle empreinte environnementale générée par l’acte de construire, cet abandon de l’art d’habiter…

Construire c’est construire notre futur. « Construire une représentation du futur souhaitable à partir de l’observation des futurs possibles » ( Daniel Innerarity) , c’est prendre en compte les différentes temporalités à l’oeuvre dans l’acte de construire ; c’est souvent savoir ne pas démolir ; c’est refuser ces réhabilitations consommatrices de notre bilan GES et dont les coûts financiers permettent de justifier les processus de démolition-construction ; enfin c’est explorer le domaine de l’anticipation, s’alimenter à l’imaginaire du design-fiction , offrir des visions …

Il faut changer de paradigme ! Transférer à l’aménagement intérieur la maîtrise des ambiances au plus proche des usages et des corps est une piste réelle des « possibles » qui peut nous ouvrir les champs du « souhaitable ».